Les formes sont vivantes
On ne voit pas toujours lorsque l’on regarde. Et
pourtant, voir est une étape décisive
pour connaître. Quelque chose qui se situe aux racines les plus anciennes de
notre tradition culturelle : pour Platon déjà, l’accès aux Idées ou Formes
intelligibles était à proprement parler un acte
de vision, de contemplation. D’où l’importance des arts visuels, qui nous
mettent sous les yeux des répertoires intenses, délimités dans la forme, nous
permettant de voir de manière plus vive
et profonde, y compris ce que habituellement nous ne parvenons pas à distinguer.
Cet élargissement, cette intensification
du regard, est essentiel dans la trajectoire artistique de Pablo Reinoso depuis
ses débuts. Son travail de la matière, de l’ébauche des formes par le dessin à la
réalisation matérielle en trois dimensions, implique à chaque instant une vision dynamique des formes : celles-ci
ne sont pas représentées immobiles ; leur mouvement intérieur est capté,
ce qui en fait des êtres vivants, de la matière organique.
Ashes to Ashes [Cenizas a las cenizas] (2003, 2015). Installation [Instalación].
Ainsi, dans les œuvres de Pablo Reinoso
les formes se déploient, se prolongent et se projettent au-delà des limites censées
les enfermer. Elles sont vivantes. Elles sécrètent des lignes et des fils par
lesquels elles touchent le monde, des filaments qui leur permettent de se
déplacer, de grimper, de dégringoler. Mobilier qui s’élève et se déplace sur
des façades d’immeubles. Sculptures, coussins, qui respirent et exhalent de
l’air. Les formes sont vivantes.
Voici quelques années, en 2002, Reinoso a réalisé une
installation, Cenizas a las cenizas
[Cendres aux cendres] où il laissait une libre et large place à ce dynamisme
expansif des formes. Il s’agissait d’une
maison, mais une maison en mouvement, soumise au tourbillon du temps et de
la destruction. Alors qu’on pense entrer dans le vestibule d’un appartement
ordinaire, on se rend vite compte que tout bouge : portes, lampes, et
fenêtres ne sont pas au bon endroit. Et la cheminée nous accueille avec une
langue de feu/bois qui nous emmène de l’illusion de permanence propre à la
maison à l’évanescence des rêves.
Ashes to Ashes [Cenizas a las cenizas] (2003, 2015), 2 . Installation [Instalación].
Autre exemple de dynamisme et
de prolongement des formes, lors de sa splendide exposition à l’Instituto
Cervantes de Paris en 2006 : Nudos
de sombra [Nœuds/Nouages d’ombre], où des chaises et des fauteuils Thonet se
disloquaient et s’éparpillaient, se dédoublaient et se projetaient dans
l’espace comme des ombres. Une question,
inévitable, se posait : sommes-nous sûrs que ce que nous voyons a réellement
la forme que nous voyons ? Pablo Reinoso y apportait sa réponse : l’artiste
est là pour introduire une ligne d’ombre
qui bouleverse et interroge nos automatismes visuels et sensoriels habituels,
en nous amenant à regarder le monde avec des yeux neufs.
Dans ses sculptures, ses
installations, ses vidéos, Reinoso nous place devant un miroir décentré qui révèle que les choses ne
sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. Mais en ont-elles l’air ? Si
l’on regarde à travers la ligne d’ombre, tout bouge, rien n’est immobile. Les
objets acquièrent une vie propre et grandissent sans contrôle, parallèlement à
nos pulsions et nos affects, qui se trouvent pris dans les nœuds d’une
obscurité imprévisible, déroutante. Des Nœuds
ou des empreintes, constellations incertaines, cercles concentriques du désir.
Ainsi, de filaments qui croissent
et s’étirent ont surgi des sculptures telles que les bancs spaghetti, d’une intention expressive particulièrement
claire : les formes ne sont pas seulement là pour être vues mais aussi
pour être mangées. Car il est connu
que nous les humains sommes capables de manger aussi avec les yeux.
Ou aussi les cadres « firuletes », terme qui renvoie à un
type de décoration superfétatoire, parfois de mauvais goût, mais aussi, dans le
parler argentin, à un pas de danse compliqué. Ici, le cadre, qui habituellement
délimite, s’enchevêtre, perd sa
fonction classique qui est d’introduire de l’ordre et bouleverse complètement
les notions de dedans/dehors : les formes s’entrecoupent,
se superposent et poussent vers l’extérieur.
Les Trois Grâces [Las tres Gracias] (2012). Bois sculpté [Madera esculpida].
Env. [Aprox.] 700 x 250 cm. CU.
Une des
réussites les plus accomplies de la série est son ensemble Las tres gracias [Les Trois Grâces] (2011), une œuvre d’une immense qualité plastique et d’une
grande force conceptuelle et esthétique, basée sur le cadre ; elle représente le cadre à travers trois figures, les
cadres ne délimitant pas cette fois quelque chose de concret mais le vide et
leurs propres excroissances qui, comme d’étranges filaments naissant
d’eux-mêmes, germent, poussent et se répandent.
De quoi nous parle cette œuvre triple,
hypnotique et énigmatique en même temps ? L’importance esthétique du cadre
a été soulignée par la philosophie contemporaine. Dans son essai « Meditación
del marco » [Méditation sur le cadre] (1921), le penseur espagnol José
Ortega y Gasset met en avant la fonction du cadre en tant que délimitation
d’une proposition artistique. Si l’art, d’après Ortega y Gasset, est « une
île », pour arriver à lui « un isolateur » est nécessaire :
le cadre, qui a « quelque chose
de la fenêtre, de même que la fenêtre a beaucoup du cadre ». Une remarque qui
s’applique parfaitement à l’œuvre de Pablo Reinoso.
En outre, dans son livre La vérité en peinture (1978), Jacques
Derrida affirme que le cadre soutient et contient ce qu’il encadre, qui sans
lui s’effondrerait. S’il s’agit d’une œuvre (ergon), dont l’énergie (energeia)
est celle de l’œuvre d’art, le cadre
(parergon) protège des processus dont
elle est le lieu. Il marque un arrêt qui scelle une crypte : l’œuvre dans
son autonomie. Mais en reconnaissant cette césure, cet arrêt, l’œuvre
l’intègre, la déborde et la fait sauter. Ici aussi, presque au sens littéral,
comme dans Las tres gracias de Pablo
Reinoso.
La représentation de trois figures
féminines nues ou à demi nues, connues sous le nom des Trois Grâces, est un des éléments iconographiques les plus constants
de notre tradition artistique. Selon
diverses sources classiques, les Trois Grâces étaient des déesses, nées des
amours de Zeus, qui servaient Aphrodite et étaient donc associées à l’amour, la
beauté, la sexualité et la fertilité en tant que forces génératrices de vie. Mais
si on remonte encore plus loin dans le temps, on peut trouver l’association,
sur un plan mythique et symbolique, de ces trois figures féminines avec les
Muses qui avec Apollon sont les protectrices de la poésie et des arts. Dans son
beau livre La Déesse blanche (The White Goddess, 1948), Robert Graves affirme
que la forme la plus ancienne de la muse est triple et correspond à la figure triple
de la « déesse blanche », à la fois déesse de l’enfer, de la terre et
du ciel. Ce n’est que vers
le viiie siècle av. J.-C.,
sous l’influence thraco-macédonienne, que la triade des Muses serait passée à
neuf, soit trois triades. Même si, conclut-il, toute cette pluralité de figures
ne renverrait qu’à une seule origine : la Grande Déesse, ou déesse blanche, exaltation mythico-symbolique de
la femme présente dans les strates culturelles les plus lointaines de
l’humanité.
Laocoonte (2014). Bois sculpté [Madera esculpida]. 150,5 x 186,5 x 35 cm.
Grâce-Muses-Femme-Cadre-Fenêtre, et l’idée formulée à la Renaissance par Leone Battista Alberti de la peinture (et, par extension, l’art) comme fenêtre symbolique de la représentation, se trouvent ainsi
étroitement associés dans Las tres
gracias de Pablo Reinoso. Dans cette triple figure, la flexion,
l’inflexion, ou le pli du cadre sur lui-même, en fait un isolateur qui s’auto-questionne, se transformant ainsi en un triple
point d’interrogation qui interroge le sens que prend ce qui normalement
délimite ou isole : la matière de l’art, le corps de la représentation
sensible. Las tres gracias rend ainsi
patent le caractère ouvert de toute proposition artistique, qui ne reste
vivante qu’à travers le processus par lequel les êtres humains se l’approprient
et l’actualisent, de façons diverses, au fil du temps. C’est là notre miroir,
l’au-delà auquel nous conduit le débordement de soi-même, la triple figure du
cadre qui s’écoule…
Et ici, lors de cette exposition à la Maison
de l’Amérique Latine, les formes continuent de s’écouler : le banc débordé
de lui-même, vibrant et se prolongeant en filaments qui, questionnant notre
regard, éveillent en nous un doute sur la stabilité des formes dans ce monde dans
lequel nous vivons. Ou s’agirait-il d’images d’un autre monde, d’un monde inversé…?
Finalement, tout n’est que la mise en
forme de ce qu’engendre notre pulsion scopique, notre désir de regarder. Jacques Lacan disait, à propos de Maurice Merleau-Ponty,
que nous les humains « sommes des êtres regardés dans le spectacle du
monde ». Ce que le psychanalyste dévoile, le flux du désir dans la pulsion
scopique, dans la pulsion du voir, les artistes le montrent dans l’œuvre, dans
le dispositif plastique qui met en jeu la vision.
C’est là que
se situe l’élément central du travail artistique de Pablo Reinoso, son
intention de donner vie aux formes. Ses œuvres transmettent connaissance et
désir, révèlent que pour regarder il faut entrer et sortir, et que dans ce jeu entre
dedans et dehors notre regard ne trouve rien d’autre que lui-même. La construction
plastique devient un miroir symbolique qui a pour support le rayonnement et le
rebondissement du regard. Le halo de la vision se dilate et se contracte, tel
un poumon translucide. Les matériaux, aussi solides et compacts soient-ils,
passent de couvrir à dévoiler.
Nous
finissons ainsi par percevoir, de nouveau avec Lacan, que ce qui en réalité constitue
le spectacle du monde c’est l’expansion
du regard. Artiste ou spectateur, voyeurs irrépressibles, ils se trouvent dans
un monde qui se révèle omnivoyeur. Omnivoyeur, « mais pas
exhibitionniste », précise Lacan. Puisque, en dernière instance, la
réciprocité entre le regard et ce qui est regardé favorise plus que n’importe
quel autre plan l’alibi du sujet. Alibi : le regard enveloppant et
circulaire cache ce qui le motive. Les formes sont vivantes et notre regard
germe en elles.
* Pablo Reinoso: Un monde renversé; Maison de l'Amérique Latine, Paris, 1er. juin-31 juillet et 17 août-5 septembre, 2015. Commissaire: Jerôme Sans.
PUBLIË: BeauxArts, numéro spécial, juin 2015, pp. 22-25.
Pablo Reinoso
Las formas están vivas
No siempre vemos cuando
miramos. Y, sin embargo, ver es el
paso decisivo para conocer. Algo que se sitúa en las raíces más remotas de
nuestra tradición de cultura ya desde Platón, para quien el acceso a las Ideas
o Formas inteligibles es propiamente un
acto de visión, de contemplación. De ahí la relevancia de las artes
visuales, que sitúan ante nuestras miradas repertorios intensos y delimitados
de formas, gracias a lo cual vemos de
manera más intensa y profunda, llegando incluso a lo que habitualmente no
alcanzamos a ver.
Esa ampliación, intensificación,
de la mirada es decisiva en la trayectoria artística de Pablo Reinoso desde sus
inicios. Su trabajo escultórico, en una línea que va del esbozo de las formas
en el dibujo a su realización material en tres dimensiones, implica en todo
momento una visión dinámica de las formas.
Éstas no se representan quietas, sino captando su movimiento interior, lo que
las convierte en seres vivos, en materia orgánica.
Así, en las obras de Pablo
Reinoso las formas se despliegan, se prolongan y proyectan más allá del límite
en el que se pretende encerrarlas. Están vivas. Segregan líneas e hilos con las
que tocan el mundo, filamentos que les permiten desplazarse, subir y bajar.
Mobiliario que se eleva y desplaza por las fachadas de edificios. Esculturas,
cojines, que respiran, exhalan aire. Las formas están vivas.
Hace ya años, en 2002, Reinoso concibió
una instalación de piezas escultóricas: Cenizas
a las cenizas, en la que daba libre e intenso espacio a ese dinamismo
expansivo de las formas. Era una casa,
pero una casa en movimiento, sometida al torbellino del tiempo y la
destrucción. Al llegar a ella, uno
piensa que entra en un apartamento con su recibidor. Pero pronto advierte
que todo se mueve: puertas, lámparas y ventanas están fuera de lugar. Y la
chimenea del hogar nos acoge con una lengua de fuego/madera que nos lleva de la
ilusión de permanencia que implica siempre la casa a la evanescencia de los
sueños.
Otro tipo de
dinamismo y prolongación de las formas fue el que produjo con su rotunda
exposición de 2006 en el Instituto Cervantes de París: Nudos de sombra, en la que las sillas y sillones Thonet se
desmembraban y disolvían, pero a la vez se duplicaban y proyectaban en el
espacio como sombras. La pregunta,
inevitablemente, brotaba: ¿estamos seguros de que lo que miramos tiene
realmente la forma con la que lo vemos? Pablo Reinoso proponía un giro: el artista es aquel que
introduce una línea de sombra que
subvierte e interroga nuestros automatismos visuales y perceptivos habituales,
llevándonos así a mirar el mundo con ojos renovados.
En sus objetos
escultóricos, en sus instalaciones, en sus vídeos, Reinoso nos sitúa ante un
espejo descentrado que pone en
evidencia que las cosas no son tan sencillas como parecen. Pero, ¿lo parecen?
Si miramos a través de la línea de sombra, todo se mueve, nada está quieto. Los
objetos cobran vida propia, y crecen descontrolados. En paralelo a nuestras
pulsiones y afectos, que se ven enredados en los nudos de una oscuridad
inadvertida, perturbadora. Nudos o
huellas, constelaciones inciertas, círculos concéntricos del deseo.
Retour végétal [Regreso vegetal] (2015).
Bois sculpté et acier [Madera esculpida y acero]. 102 x 314 x 95 cm.
Y de ahí,
filamentos que se estiran y crecen, fueron surgiendo unas piezas, los bancos spaghetti, con una clarísima intención
expresiva: las formas no son sólo para ver, sino también para comer. Porque es obvio que los humanos comemos con los ojos, y no sólo ingiriendo alimentos.
O, después,
los marcos firuletes, un término que
expresa un tipo de adorno superfluo y ocasionalmente de mal gusto, pero a la
vez en el criollo argentino también un tipo complicado de paso de baile. El
marco, que habitualmente delimita, se
embarulla, pierde su función normal de introducir orden, y subvierte
completamente las nociones de fuera y
dentro, con lo que las formas se
cortan, se superponen y crecen hacia lo abierto.
Uno
de los logros más plenos en esa serie es su conjunto escultórico de Las tres gracias (2011), una obra de intensa calidad plástica y
de una gran densidad conceptual y estética. La obra gira en torno al marco, es una representación del marco
en una serie de tres figuras, pero en esta ocasión los marcos no delimitan algo
concreto, sino el vacío, y sus propias excrecencias que, como extraños
filamentos, germinan, crecen, y se expanden a partir de sí mismos.
¿De qué nos habla esta obra
triple, hipnótica y enigmática a la vez? La relevancia estética del marco ha
sido puesta de relieve por la filosofía contemporánea. En su ensayo
"Meditación del marco" (1921), el pensador español José Ortega y
Gasset señala la función de delimitación de una propuesta artística que cumple
el marco. Si el arte, según Ortega y Gasset, es "una isla", para llegar a él hace falta "un aislador":
el marco, que tiene "algo de
ventana, como la ventana mucho de marco". Palabras, estas últimas, que
pueden perfectamente aplicarse a la obra de Pablo Reinoso.
Por otra parte, en su libro La vérité en peinture (1978), Jacques
Derrida señala que el marco sostiene y contiene lo que enmarca, que sin él se
desmoronaría. Si se trata de una obra (ergon),
cuya energía (energeia) es la de la
obra de arte, el marco (parergon) protege de los procesos de los
que ella es el lugar. Marca una parada que sella una cripta: la obra en su
autonomía. Pero, al reconocer esa cesura, esa parada, la obra la integra, la
desborda y la hace saltar. También aquí, casi al pie de la letra, como en Las tres gracias, de Pablo Reinoso.
La representación de tres
figuras femeninas desnudas o semidesnudas, conocidas como Las tres gracias, es uno de los elementos iconográficos más
persistentes de nuestra tradición artística. Según diversas fuentes clásicas, las tres Gracias eran diosas
nacidas de los amores de Zeus que pertenecían al séquito de Afrodita, y se
asociaban con el amor, la belleza, la sexualidad y la fertilidad, entendidos
como fuerzas generadoras de vida. Pero si nos remontamos aún más atrás en el
tiempo, podemos encontrar la asociación, en un plano mítico y simbólico, de estas tres figuras
femeninas con las Musas, que junto con Apolo son las protectoras de la poesía y
las artes. En su hermoso libro La diosa
blanca (The White Goddess, 1948),
Robert Graves indica que la forma más antigua de la Musa es la triple, que
corresponde a la triple figura de la "diosa blanca" como diosa del
infierno, de la tierra y del cielo.
Sólo hacia el siglo VIII a. C., y bajo la influencia tracio-macedonia, la
tríada de las Musas se habría ampliado a tres tríadas, a nueve. Aunque,
concluye, toda esa pluralidad de figuras remitiría a una sola raíz, a la Gran Diosa, o diosa blanca,
exaltación mítico-simbólica de la mujer presente en los estratos culturales más
remotos de la humanidad.
Retour végétal [Regreso vegetal] (2015) + Respirant [Respirante] (1999).
Toile, ventilateurs [Tela, ventiladores], 300 x 260 cm.
Gracias-Musas-Mujer-Marco-Ventana, y la idea que en el Renacimiento
formulara Leone Battista Alberti de la
pintura (y, por extensión, el arte)
como una ventana simbólica de la
representación, se encuentran así estrechamente asociadas en Las tres gracias, de Pablo Reinoso. En
esa triple figura, la flexión, inflexión, o pliegue, del marco sobre sí mismo,
lo convierte en un aislador que se
autocuestiona. Transformándose así en un triple signo de interrogación que
pregunta por el significado de aquello que normalmente delimita o aísla: la
materia del arte, el cuerpo de la representación sensible. La obra, Las tres gracias, hace de este modo
patente el carácter abierto de toda propuesta artística, que permanece viva
sólo a través del proceso por el que los seres humanos se apropian de ella y la
actualizan, de formas diferentes, en el curso del tiempo. Ese es nuestro
espejo, el más allá al que nos conduce el desbordamiento de sí mismo, la triple
figura del marco que fluye…
Y ahora, para esta exposición
en la Maison de l’Amérique Latine, las formas siguen fluyendo: el banco
desbordado de sí mismo, vibrando y prolongándose en filamentos que, al
cuestionar nuestra mirada, despiertan en nosotros la duda sobre la estabilidad
de las formas en este mundo en el que vivimos. ¿O serán imágenes de otro mundo,
de un mundo invertido…?
Milonga (2015).
Chaussures, bois et fibres naturelles [Zapatos, madera y fibras vegetales]. 300 x 130 x 20 cm.
En último término, todo
deriva de la plasmación en la forma de los giros que produce nuestra pulsión
escópica, nuestro deseo de mirar.
Decía Jacques Lacan, comentando a Maurice Merlau-Ponty, que los humanos “somos
seres mirados en el espectáculo del mundo”. Lo que el psicoanalista desvela: el
flujo del deseo en la pulsión escópica, en la pulsión de mirar, los artistas lo
muestran en la obra, en el dispositivo plástico que pone en juego la visión.
Es ahí
donde se sitúa el núcleo del trabajo artístico de Pablo Reinoso, su intención de dar vida a las
formas. Sus obras transmiten conocimiento y deseo, desvelan que para mirar hay
que entrar y salir, y que en ese juego de dentro y fuera nuestra mirada no
encuentra otra cosa que ella misma. La construcción plástica se convierte en un
espejo simbólico, que tiene como soporte la irradiación y el rebote de la
mirada. El hálito de la visión se expande y contrae, como un pulmón
translúcido. Los materiales, por muy compactos y fuertes que sean, pasan de
cubrir a desvelar.
Alcanzamos
así a percibir, de nuevo con Lacan, que lo que constituye en realidad el
espectáculo del mundo es la expansión de
la mirada. Artista o espectador, mirones irreprimibles, se encuentran en un
mundo que se desvela omnivoyeur.
Puntualiza Lacan: omnivoyeur, “pero no exhibicionista”. Ya
que, en último término, la reciprocidad de la mirada y de lo mirado propicia
más que cualquier otro plano la coartada del sujeto. Coartada: la mirada
envolvente y circular oculta lo que la mueve. Las formas están vivas, nuestra
mirada germina en ellas.
* Pablo Reinoso: Un monde renversé; Maison de l'Amérique Latine, Paris, 1 de junio-31 de julio y 17 agosto-5 septiembre, 2015. Comisario: Jerôme Sans.